Les impacts dans le retail et le luxe de la future interdiction de destruction des invendus
Article paru sur le site du cabinet Osborne Clarke : Les impacts dans l’industrie « retail » et luxe de la future interdiction de destruction des invendus - Osborne Clarke | Osborne Clarke
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Chaque année en France, 630 millions d’euros de produits non alimentaires sont détruits (1).
Dans certains secteurs, comme la mode, ce phénomène est particulièrement présent car les collections changent en fonction des saisons, ont des durées de vie courtes et proposent des tailles différentes pour chaque modèle, ce qui augmente le risque d’invendus.
Par ailleurs, l'industrie de la mode est une des industries les plus polluantes de la planète. Elle émet 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre par an, soit 2 % des émissions globales de gaz à effet de serre selon l’Agence de la transition écologique (ADEME) (2) . Toutes ces marchandises invendues puis détruites représentent donc un gaspillage de ressources naturelles comme l’eau, ce qui choque de plus en plus les consommateurs, sensibilisés par la protection de l’environnement.
Le gouvernement espère mettre fin à cette pratique dans le cadre de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (3), qui prévoit notamment l’interdiction, pour les producteurs, importateurs et distributeurs, de détruire les produits non alimentaires neufs destinés à la vente (4) (vêtements, produits d’hygiène quotidienne, produits électroniques, chaussures, livres, électroménager etc.). L’interdiction concerne aussi bien la vente physique que la vente à distance (5).
Le nouveau dispositif de lutte contre la destruction des invendus non alimentaires
Les entreprises devront privilégier le réemploi (notamment par le don des produits à des associations de lutte contre la précarité et des structures de l'économie sociale et solidaire) puis la réutilisation, et à défaut le recyclage (6) .
Le réemploi : toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus;
La réutilisation : toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui sont devenus des déchets sont utilisés de nouveau;
Le recyclage : toute opération de valorisation par laquelle les déchets, y compris les déchets organiques, sont retraités en substances, matières ou produits aux fins de leur fonction initiale ou à d'autres fins.
Des exceptions sont prévues pour :
les produits dont la valorisation matière est interdite, dont l'élimination est prescrite ou dont le réemploi, la réutilisation et le recyclage comportent des risques sérieux pour la santé ou la sécurité ;
les produits pour lesquels les conditions nécessaires pour réaliser le réemploi, la réutilisation ou le recyclage ne répondent pas à l'objectif de développement durable.
Ces exceptions sont détaillées dans le décret d’application n° 2020-1724 (7).
En cas de violation de cette interdiction, une amende administrative allant jusqu’à 3 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale est prévue. La décision peut également être publiée aux frais de la personne sanctionnée.
La recherche et le constat de ces manquements seront assurés par les agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (8).
Cette mesure est applicable à compter :
- du 1er janvier 2022 pour (i) les produits soumis à un principe de responsabilité élargie du producteur en application de l'article L. 541-10 du Code de l’environnement avant le 11 février 2020, (ii) les produits d'hygiène et de puériculture mentionnés à l'article R. 541-320 du Code de l’environnement et (iii) les équipements de conservation et de cuisson des aliments, les produits d'éveil et de loisirs ainsi que les livres et les fournitures scolaire ;
- du 31 décembre 2023 pour les autres produits (9).
Vers une industrie plus responsable ?
Suite à cette nouvelle réglementation, certaines enseignes feront plus de promotions et de déstockages grâce à des sites spécialisés comme Veepee ou TheBradery (10), ouvriront des boutiques solidaires à l’image de Kiabi (11), lanceront des programmes de lutte contre le gaspillage des invendus comme Amazon (12) ou noueront des partenariats avec des plateformes de seconde main quand elles ne les créeront pas elles-mêmes. Par exemple, plusieurs marques de luxe comme Stella McCartney ou Balenciaga se sont associées à la plateforme américaine The RealReal pour créer de nouveaux vêtements à partir de stocks inutilisés (13) et des marques comme Aigle (14) ou Balzac Paris (15) ont mis en place des plateformes de seconde main pour encourager leurs clients à donner une nouvelle vie à leurs vêtements.
D’autres enseignes ne souhaiteront pas brader leurs stocks pour protéger leur image. Elles pourront par exemple ne plus faire de stock grâce à la production à la demande ou l’impression 3D. Grâce aux avancées de l’intelligence artificielle, de nouveaux concepts naissent à l’image de Neuro Studio (16), qui propose une collection virtuelle et ne produit que les modèles effectivement vendus.
A cause de la crise sanitaire et de la fermeture des commerces non essentiels, beaucoup d’entreprises ont des stocks qu’elles ne pourront plus vendre. C’est donc la dernière année où ces entreprises pourront détruire leurs invendus sans commettre d’infraction. A partir de 2022, les entreprises devront s’adapter.
L’amende administrative encourue apparaît relativement faible mais montre la volonté du gouvernement de signifier aux entreprises qu’elles doivent changer leurs pratiques. L’image auprès de leurs clients et leur responsabilité sociétale devraient également les pousser à s’améliorer.
Par Claire Bouchenard, et Gaspard Debiesse, avocats, Osborne Clarke France