Affaire Schweppes : un tonique épuisement !

Article paru dans Les Echos Executives le 30/04/2018 : Affaire « Schweppes » : un tonique épuisement !, Partenaire - Les Echos Executives

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Sans surprise, la Cour de Justice de l'Union Européenne (« CJUE ») a suivi les conclusions de son avocat général dans l'affaire « Schweppes », relative à l'épuisement du droit de marque. Mécanisme visant à stimuler concurrence et libre circulation dans l'Union, l'épuisement se trouve ainsi fortifié par une décision d'importance, qu'il conviendra d'avoir à l'esprit au moment de finaliser toute opération de restructuration de portefeuille de marques.

La société espagnole Schweppes SA s’est vue concéder une licence exclusive par la société britannique Schweppes International Ltd, titulaire des marques espagnoles « Schweppes », pour l’exploitation de celles-ci en Espagne. Constatant que les sociétés espagnoles Red Paralela y commercialisaient des bouteilles d’eau tonique revêtues de la marque « Schweppes » en provenance du Royaume-Uni - où, la marque est détenue par The Coca-Cola Company, qui en a acquis les droits par cession - Schweppes SA les assignait en contrefaçon.

En défense, les sociétés Red Paralela opposaient l’épuisement du droit sur les marques espagnoles. Selon elles, les bouteilles en cause avaient été fabriquées et mises sur le marché avec le consentement (tacite) de Schweppes International Ltd (titulaire de la marque « Schweppes » dans le pays d'importation), au vu notamment des liens économiques et juridiques existant entre celle-ci et The Coca-Cola Company (titulaire de la marque dans le pays d'exportation) et de leur exploitation conjointe du signe « Schweppes » comme marque « universelle ».

Saisie de quatre questions préjudicielles, la Cour tranche le débat dans un sens favorable à l’épuisement (et donc à la libre concurrence) : selon l’article 7 § 1, de la Directive 2008/95 sur les marques nationales, le titulaire d’une telle marque ne peut s’opposer à l’importation de produits identiques revêtus de la même marque provenant d’un autre État membre, où cette marque, qui appartenait initialement au même titulaire, est désormais détenue par un tiers en ayant acquis les droits par cession, lorsque, après cette cession :

  • le titulaire, seul ou en coordonnant sa stratégie de marque avec ce tiers, a continué à favoriser de manière active et délibérée l’apparence ou l’image d’une marque unique et globale, en créant ou en renforçant ainsi une confusion aux yeux du public concerné quant à l’origine commerciale des produits revêtus de cette marque ; ou

  • il existe des liens économiques entre le titulaire et ledit tiers, au sens où ils coordonnent leurs politiques commerciales afin de contrôler conjointement l’utilisation de la marque, de telle sorte qu’ils peuvent déterminer directement ou indirectement les produits sur lesquels ladite marque est apposée et d’en contrôler la qualité.

La Cour note en effet qu’en adoptant un comportement qui confine au cloisonnement de marchés, et a pour effet que sa marque espagnole ne remplit plus sa fonction essentielle de garantie de l'identité d'origine du produit marqué, de façon indépendante, dans le cadre territorial qui lui est propre, Schweppes International Ltd a elle-même porté atteinte à cette fonction, voire dénaturé celle-ci.

C’est, au fond, pour cette raison que Schweppes International Ltd ne saurait mettre en avant la nécessité de sauvegarder une telle fonction pour s'opposer à l'importation de produits identiques revêtus de la même marque, provenant d'un autre Etat membre où cette marque est désormais détenue par le tiers.

Dans le prolongement de sa jurisprudence précédente sur l’épuisement, la Cour précise en outre que, même dans l'hypothèse où le titulaire n'aurait pas favorisé l'image d'une marque unique et globale, il ne saurait s'opposer à l'importation des produits lorsqu'il existe des liens économiques entre lui-même et le tiers.

Ce critère du lien économique était en l’espèce satisfait dès lors que, après le fractionnement de marques nationales dû à une cession territorialement limitée, les titulaires de ces marques coordonnent leurs politiques commerciales ou s'accordent afin de contrôler conjointement l'utilisation de ces marques, de telle sorte qu'ils ont la possibilité de déterminer directement ou indirectement les produits sur lesquels la marque est apposée et d'en contrôler la qualité.

En somme, dit la Cour, Schweppes International Ltd ne saurait se prévaloir de sa propre turpitude.

Bien que très casuistique, cette solution est plus généralement destinée à contrer certaines stratégies visant à favoriser, au plan commercial, une « image d’une marque unique et globale » tout en créant, au plan juridique, un véritable cloisonnement du marché.

Ainsi, au-delà des montages juridico-commerciaux existant entre les acteurs d’un marché, le lien économique existant entre eux peut équivaloir à un consentement tacite de nature à justifier l’épuisement du droit de marque, et ainsi anéantir toute action en contrefaçon.

CJUE, 20 décembre 2017, C-291/16, Schweppes SA c. Red Paralela SL et Red Paralela BCN SL.

Par Karine Disdier-Mikus et Gaspard Debiesse, Avocats, DLA PIPER France

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