Magnétoscopes « en nuage » et copie privée : la CJUE donne raison aux ayants droit
Article paru dans Les Echos Executives le 24/01/2018 :Magnétoscopes en nuage et copie privée: la CJUE donne raison aux ayants-droits, Partenaire - Les Echos Executives
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Les plateformes d'enregistrement en ligne de contenus vidéos (« NPVR », pour Network Personal Video Recorder) ont récemment rencontré un franc succès. Lancé en juillet 2016, le service français « molotov.tv » compte ainsi plus d'un million d'utilisateurs.La décision de la Cour de justice de l'Union européenne (« CJUE ») dans l'affaire VCAST était donc particulièrement attendue des acteurs du secteur.
Cette dernière propose un service permettant à ses utilisateurs d'indiquer, sur son site Internet (où figure toute la programmation des chaînes de télévision comprises dans son service), soit une émission donnée, soit une plage horaire ; le système géré par VCAST capte ensuite le signal de télévision (grâce à ses propres antennes) et enregistre la plage horaire/l'émission choisie sur un espace de stockage « en nuage » indiqué par l’utilisateur (et que celui-ci se sera procuré auprès d’un fournisseur tiers).
Une fois n'est pas coutume, c'est VCAST qui avait saisi le tribunal de Turin afin de faire constater la légalité de ses activités. Elle invoquait à cette fin l’exception de copie privée, prévue à l’article 5, § 2, b) de la Directive 2001/29 du 22 mai 2001, selon laquelle l’autorisation du titulaire des droits n’est pas nécessaire pour les reproductions effectuées sur tout support, par une personne physique, pour un usage privé et à des fins non commerciales, à condition toutefois que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable.
Sur référé de RTI, la justice italienne interdit à VCAST de poursuivre ses activités tout en soumettant à la CJUE, avant sa décision définitive, une question préjudicielle sur l’interprétation de l’article précité.
Comme souvent, la CJUE tranche le litige dans un sens favorable aux ayants-droits. Elle semble en revanche le faire par un moyen détourné, en interprétant --en amont de la notion de copie privée d'une œuvre, qui faisait pourtant l'objet des questions préjudicielles-- celle de « communication au public » d'une œuvre, au sens de l’article 3, § 1 de la Directive 2001/29.
Interprétation stricte de l'exception de reproduction privée
La Cour part en effet du constat que le service VCAST « possède une double fonctionnalité, consistant à assurer à la fois la reproduction et la mise à disposition des œuvres et objets concernés par celui-ci ». Au terme d'un raisonnement relatif exclusivement à la mise à disposition des œuvres reproduites, elle conclut que l'exception de reproduction privée est inapplicable car, devant être interprétée strictement, « elle s’oppose à une législation nationale qui permet à une entreprise commerciale de fournir à des particuliers un service d’enregistrement à distance dans le nuage de copies privées d’œuvres protégées par le droit d’auteur, au moyen d’un système informatique, en intervenant activement dans l’enregistrement de ces copies, sans l’autorisation du titulaire ».
Bien que le raisonnement de la Cour soit assez inattendu (le service VCAST ne saurait être couvert par l'exception de l'article 5 § 2, b) de la Directive car il viole, en amont, son article 3, § 1), l'issue de cette affaire, n'est, elle, guère surprenante. Elle s’inscrit d'ailleurs dans la jurisprudence la plus récente de la CJUE.
La notion de communication au public
Celle-ci avait en effet déjà précisé que la notion de « communication au public » associe deux éléments cumulatifs : un « acte de communication » d’une œuvre, c’est-à-dire toute transmission ou retransmission des œuvres protégées, indépendamment du moyen ou du procédé technique utilisé, et un « public ». Ainsi, chaque transmission ou retransmission d’une œuvre qui utilise un mode technique spécifique doit être individuellement autorisée par l’auteur de l’œuvre en cause (CJUE, 31 mai 2016, C-117/15, Reha Training).
En outre, la transmission d’origine effectuée par l'opérateur de télévision, d’une part, et celle réalisée par VCAST, d’autre part, sont effectuées suivant un mode différent de transmission des œuvres, et chacune d’elles est destinée à son propre public. Les transmissions évoquées constituent donc des communications au public différentes (CJUE, 7 mars 2013, C‑607/11, ITV Broadcasting).
Dès lors, chaque communication au public doit, selon la Cour, recevoir l’autorisation des titulaires de droits concernés, faute de quoi la réalisation de copies d’œuvres au moyen d’un service tel que celui proposé par VCAST porte atteinte aux droits de ce titulaire.
La Cour estime donc que la réalisation de copies d’œuvres au moyen d’un service d’enregistrement dans le cloud de programmes télévisés ne relève pas de l’exception de copie privée ; la mise à disposition de ces copies doit être autorisée par le titulaire des droits, dans la mesure où ce service propose une retransmission des programmes concernés, c'est à dire une nouvelle communication de l'œuvre, à un public différent.
La rémunération pour copie privée non abordée
Il est intéressant de noter que la décision n'aborde pas la question --pourtant indirectement posée par la juridiction italienne-- de la compensation financière allant de pair avec l'exception de copie privée.
La loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016, dite loi Création, a en effet complété les dispositions du Code de la propriété intellectuelle relatives à l'exception de copie privée, en la déclarant applicable à l'enregistrement en ligne de programmes de radio ou de télévision, à l'aide des services proposés par leurs éditeurs ou leurs distributeurs.
Les services NPVR sont ainsi venus rejoindre les fabricants et importateurs de supports d'enregistrement parmi les redevables de la rémunération pour copie privée, dont la liste figure à l'article L. 311-4 du Code de la propriété intellectuelle.
Selon cet arrêt, une exception de copie privée « en nuage » d'œuvres diffusées à la télévision serait contraire à la Directive de 2001, alors que, en France, une telle possibilité est expressément consacrée s'agissant du volet rémunération de la copie privée. On peut donc se demander quel sera son impact sur le régime français de rémunération pour copie privée, dont le principal redevable est, s'agissant des NPVR, le service molotov.tv.
Les questions qui demeurent en suspens
Enfin, certaines questions demeurent à la lecture de l'arrêt de la CJUE.
Si VCAST avait capté un signal transmis non pas par voie terrestre mais en streaming (i.e. par le flux Internet de la chaîne), afin de le mettre à disposition de ses utilisateurs en streaming également, un tel parallélisme des techniques de diffusions utilisées, pour la transmission d'une part et la retransmission d'autre part, aurait-il rendu ce service légal ? La CJUE aurait-elle dû, en ce cas, se pencher sur l’existence d’un nouveau public, différent de celui la transmission initiale ?
Egalement, en admettant qu'un service similaire à VCAST puisse être déclaré conforme à la Directive de 2001, si le service d’enregistrement et le service de stockage sont assurés par des prestataires différents (ce qui était le cas de VCAST), lequel des deux serait tenu au paiement de la redevance pour copie privée ?
Autant de questions qui font dire que la CJUE a encore beaucoup à dire sur l'applicabilité de la Directive de 2001 aux services en nuage.
A moins, bien sûr, que la nouvelle Directive sur le droit d'auteur --en préparation depuis plusieurs mois à la Commission européenne et présentée en septembre dernier-- ne prenne sur ces questions le relais de la CJUE.
CJUE, 29 novembre 2017, C-265/16, VCAST Limited c/ RTI SpA
Par Karine Disdier-Mikus et Gaspard Debiesse, avocats, DLA Piper France